La technique de la brisure du quatrième mur

Parlez de tout ce qui touche à la scénarisation de vos fictions sonores !
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Rominski
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Bonjours et bonsoir chers audiodidactes !

Je voulais aborder avec vous ce soir la technique d'écriture de la brisure du quatrième mur. Que diable est-ce, me direz-vous ? Eh bien, c'est plutôt simple. Pour comprendre cette expression, il faut remonter au théâtre. Au plateau, il est généralement accepté qu'en sus des barrières de la coulisse se situant loin du public (formant déjà trois murs), il existe un autre mur, un fossé imaginaire entre le plateau et le public, c'est à dire qu'il n'y a aucune intéraction entre ce qui se passe sur scène, et le public, qui n'est pas du tout visé ou impliqué et qui observe l'action d'une certaine distance (sens littéral et figuré)

Cette barrière fictive, c'est ce qu'on appelle - comme je le comprends - le quatrième mur. Et bien on en vient là. Briser le quatrième mur, ça revient, du point de vue d'un personnage donné dans une oeuvre de fiction, à reconnaître le fait qu'iel soit dans ladite oeuvre de fiction. Cela peut passer par soit l'adresse indirecte à l'équipe réalisant la production (ce faisant, ils peuvent se plaindre de répliques trop longues écrites par le scénariste par exemple), la reconnaissance de l'existence des musiques et des bruitages extradiégétiques (en dehors de la narration mais présents dans la production), ou tout simplement l'adresse directe à l'auditorat qui serait "probablement confortablement installé sur ton lit, à écouter nos galères" (je dis n'importe quoi, mais c'est l'esprit)

La première fois que j'ai entendu parler de cette technique d'écriture, j'étais en mode WHAT? D'où ça se fait, ça ? Il ne doit y'avoir aucune intéraction entre l'action dans la fiction et le public... Et au fil du temps, je me suis rendu compte que... ça enrichit une oeuvre de dingue. La technique du quatrième mur a l'air de rien comme ça mais - à mon avis - peut élever considérablement le niveau de charme présent dans une fiction. Et c'est surtout un domaine où on peut faire parler sa créativité. C'est une technique - à ma connaissance - extrêmement efficace pour écrire un mono sur les monos, par exemple, et ce que ça veut dire d'en faire un. (i.e. ce que ça peut potentiellement impliquer.)

Source : Le Petit Chaperon Vert de Majoran, qui est bourré de brisures du quatrième mur.

Et toi ? Comptes-tu utiliser cette technique dans ta fiction ? L'as-tu déjà utilisée à un moment ou à un autre ? Si oui, de quelles manières ? Quels sont, selon toi, les meilleurs exemples de brisure du quatrième mur au sein de la sagasphère francophone ?
(ces phrases en gras on aurait presque dit que c'était de la brisure du quatrième mur, mais presque xD )
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DAHUKEY
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Je ne trouve pas très pertinent de briser le quatrième mur sur l'écriture de Le visage des dieux. Et sur les chroniques de l'oranu en général. Pour une raison simple, c'est que le brisage du 4è mur met l'auditeur dans une position de complicité avec les personnages/auteur du fait que c'est une histoire. C'est un procédé qui désamorce la dramaturgie qui te rappelle que tu es dans une fiction. C'est donc quelque chose qui je trouve amène toujours un peu de comique, de légèreté même dans des moments dramatiques.

Je pense tout de suite à Fight Club sur ce sujet en fait, puisque c'est un film qui est narré tout du long. La narration, d'autant plus quand elle vient d'un personnage et n'est pas une histoire racontée à quelqu'un est donc déjà forcément une histoire racontée au spectateur. C'est une forme de brisage du 4è mur un peu légère. Et dans Fight Club cette narration est accompagnée de brisages plus évidents, adresse directe. Malgré des passages forts, cette adresse au spectateur crée une distance qui va de paire avec l'aspect conte/poésie du film et ses aspects fantasmés du monde réel.

Exemple un peu perturbant auquel je pense sinon, encore filmique, c'est dans The House That Jack Built, l'histoire d'un tueur en série, qui entre chaque récit de meurtre, va discuter avec quelqu'un dont on ne connaît pas l'identité, de sa vie et de création, faisant un parallèle étrange entre ses crimes et la création artistique. Et bien cette narration, tout du long, il est difficile de savoir si elle est dans sa tête ou si c'est juste une scène dont on ne voit pas les images, mais plus probablement, c'est une adresse au spectateur pour disserter sur la création. On ne sait pas vraiment si c'est un brisage et ça me plait. Et pour le coup, ce brisage flou, qui peut aussi bien ne pas en être un, je l'utilise un tout petit peu. Par certaines répliques qui peuvent avoir un double sens. James Rico qui parle de son public. C'est de l'auditeur dont il parle ? Ou bien est-ce une simple image ? Ça fait un petit trou dans ce fameux 4è mur.

C'est un processus courant aujourd'hui, mais dont l'usage de manière assez basique a tendance à me révulser un peu finalement. Sur le visage des dieux, je ne l'utiliserai pas au-delà du petit trou évoqué dans le paragraphe ci-dessus par soucis de garder une cohérence.

Par contre, l'utiliser ailleurs, je serais carrément pour. Et pour les raisons déjà évoquées plus tôt en fait, notamment que ça rappelle qu'on est face à une fiction. Ça peut pas mal se rapprocher de ce que raconte Guy Debord dans La société du spectacle, ce que je vais dire là, attention ça va partir loin. Il faut se poser une question très importante mais peu posée j'ai l'impression.
-Pourquoi faire de l'art ?
-Pour qui faire de l'art ?
Oui, ma question est en fait double. Parce que selon la question à laquelle on répond on se place plutôt dans une certaine vision de l'art ou une autre. Soit l'art sert à soi, à se découvrir, s'émanciper que ce soit individuel ou collectif d'ailleurs (pourquoi). Soit l'art est quelque chose qui se distribue, qui se consomme (pour qui).

Et on pense beaucoup en "pour qui", c'est-à-dire avec un ou des artistes, qui ne sont que quelques uns, qui travaillent pour un public. Dans ce paradigme, le but est de faire en sorte qu'on ne voit pas les artifices, que l’œuvre ait idéalement l'air parfaite, en cachant la création de l’œuvre. Et en effet, beaucoup de fictions sont pensées comme ça. Nous-mêmes dans le collectif, et je m'inclus bien sûr dedans, allons lisser nos fictions de sorte à ce qu'on n'entende pas le mixage, les ratés, ce qui trahit la création, donc pas de 4è mur non plus. Ça permet de créer un univers cohérent et crédible et ça c'est super, mais ça met une sorte de [highlight]hiérarchie[/highlight] entre les créateurs et auditeurs. Peut-être que c'est le mieux, mais j'aimerais proposer d'explorer la deuxième voie.

C'est le pourquoi. C'est se demander avant tout ce que créer une fiction implique pour soi ou pour les autres. On ne pense pas à la marchandise (même gratuite), au produit fini, mais bien à la création et au processus. Ce qui est important dans la création, c'est plus le processus de création pas le résultat. Cette manière là est plus égalitaire, puisque l'auditeur peut-être plus pensé comme un créateur, pas comme un consommateur. Les révélations et émotions artistiques, on ne les a pas qu'en consommant une œuvre, mais en la créant aussi, voire de manière plus puissante. Là où je suis content, c'est que cet esprit n'est pas si éloigné de l'esprit de la sagasphère et de la création amateure en général, ce côté tout le monde peut participer que j'y perçois. Le fait que l'on essaye de faire des fictions qui sonnent "pros" n'est pas nécessairement un obstacle à cette manière de penser. On peut et on doit je pense la garder si ce n'est comme un objectif au moins comme un horizon. Et c'est là qu'en force revient, alors qu'il s'était fait oublier, la quatrième mur et son brisage, puisqu'il peut être un moyen d'impliquer l'auditeur dans la création, de rappeler que ce n'est pas qu'un produit qu'on fétichise, qu'il y a des gens derrière qui travaillent à le créer, que ce n'est pas parfait, mais que c'est humain, que ça ne vient pas d'une sorte d'être supérieur qui serait la figure de l'artiste.

En bref, si les brisages du quatrième mur du petit chaperon vert t'ont plu, c'est peut-être qu'ici comme ailleurs, ils portent en eux le germe d'une révolution artistique.
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Evil Goat
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House of Cards.

J'aurais juste pu mettre ça pour vous expliquer en quoi je considère le 4ᵉ mur comme une technique très intéressante. Que ce soit la version anglaise ou encore américaine, cette technique est au cœur même de la série. Nous permettant directement de nouer une complicité avec le protagoniste, en en soit, je rejoins le premier paragraphe de Dahukey sur le sujet. Il enrichit la scène et offre une perspective nouvelle à la manière dont on découvre les évènements. On a les faits, puis on a la confidence. C'est effectivement une manière de briser le 4e mur que j'apprécie particulièrement. Vais-je le faire ? Pas dans Projet Phantom (du moins, ce n’est pas prévu). Cependant, avec d'autres idées que j'ai en tête j'ai secrètement espoir de pouvoir m'en servir dans une aventure politique que j'ai en réserve. Où, à la manière de Frank Underwood (de House Of Cards), on aurait un personnage qui confierais ses plans à l'auditoire, incluant presque ces derniers comme des complices de l'action. Et j'avoue que c'est quelque chose qui me grise d'une certaine mesure. Surtout qu'à l'audio, ça serait un bon usage de la narration voix-off, clairement.
Cependant, en faisant ça, je cours un risque, celui de sortir l'auditeur de la scène. Clairement, mal gérée ces voix-off pourrait donner l'impression d'être une anomalie dans le récit, ou du moins dans la logique évènementielle. Sauf si cette dernière est clairement annoncée dès les premières minutes, mais là on part sur de la logique d'écriture. Dont le fait de poser les règles dès le départ pour ne pas créer de gêne dans l'interprétation de l'auditeur.

Voilà un exemple de scène que je trouve adaptée pour vous dévoiler l'étendu de la puissance de cette technique : https://www.youtube.com/watch?v=TsdaEZTBO_c

Maintenant je vais vous expliquer pourquoi vous devez éviter de briser le 4e mur ; ou en tout cas, pourquoi vous devez réfléchir à la pertinence de cette décision. En vous adressant directement au public, vous les sortez de cet état d'auditeur pour les impliquer directement dans le récit. C'est un choix qui ne se fait pas par hasard et qui doit être mûrement évalué. Car si vous faites ça sans que le récit s'y prête, vous n'aurez probablement pas l'effet que vous recherchiez. Car un des effets secondaire de cette technique, et Dahukey en a un peu parlé plus haut, c'est de rompre avec le dramatique de la scène. En soit, vous risquez de rendre une scène absurde. L'absurdité n'est pas une mauvaise chose, loin de là, sauf si vous faites dans le tragique et le dramatique (sans avoir l'intention d'être comique), vous pouvez littéralement ruiner l'objectif de votre scénario avec ça.
Par exemple, si vous avez déjà lu les comics Deadpool, vous savez que le personnage parle tout seul régulièrement. Et en général, il se met à nous parler à nous, lecteur (souvent pour raconter de la merde, mais ça, c’est un autre sujet).
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Tout de suite, quand tu vois un truc comme ça, tu comprends comment ça peut très rapidement partir en couille si on ne fait pas gaffe. Et là, c’est volontairement drôle. On est face à un type qui parle tout seul.
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flowerfromchaos
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DAHUKEY a mis l'accent sur en quoi c'est dangereux de briser le quatrième mur, surtout si ça ne se fait ni correctement, ni suffisamment tôt dans une oeuvre de fiction. En brisant le quatrième mur, on prend le risque de briser la suspension consentie de crédulité : en vous adressant subitement au spectateur/auditeur sans que cela ne soit utile à ce que vous essayez de faire, vous niquez juste la concentration dans le meilleur des cas, l'investissement du consommateur dans le pire.
House of Cards est par contre un très bon exemple du quatrième mur en partie cassé, mais pas tout à fait : car ça se fait, dès le début. Chronik fiction sur youtube a très bien décrit le processus dans son épisode sur Underwood ; House of Cards nous rend complice, intime de l'histoire en en voyant els pires travers, car elle s'adresse à nous.

La fiction audio aurait du mal à faire ça, à mon avis, et je trouve ça dangereux de dire que cela "enrichit" systématiquement la fiction audio. De mon point de vue : au moins autant qu'un show don't tell, ptdr.
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